Lettre ouverte au Conseil fédéral: La Suisse doit sanctionner l’Iran
OPINION
La Suisse ne doit pas privilégier ses intérêts et sa mission de bons offices par rapport à la défense des droits humains, elle doit figurer du bon côté de l’histoire et reprendre les sanctions de l’UE, réclame l’association Zan Zendeghi Azadi Suisse*
Il y a plus de 60 jours débutait en Iran le plus important et long mouvement populaire qu’ait jamais connu la République islamique. La révolte a été initiée par des femmes, souvent adolescentes, qui ont rejeté le voile obligatoire et payé de leur vie d’avoir montré quelques mèches de cheveux. Suivie par tout un peuple, l’aspiration des manifestants se résume en un mot: liberté. Leurs armes: les slogans qu’ils scandent et leurs chants. Leur symbole: le voile des femmes retiré et brûlé.
Lire sur ce sujet: Mèmes, musique et réseaux sociaux: les nouvelles armes de la génération Z en Iran défient le régime
La République islamique a l’habitude d’étouffer les contestations en battant, violant, emprisonnant, tuant celui qu’elle considère comme son ennemi: le peuple iranien. Lui n’a plus peur et est prêt à sacrifier sa vie pour reprendre son pays. Courageux, déterminés, montrant une dignité sans faille, les Iraniens sont parvenus à mobiliser l’attention internationale sur leur combat pour leurs droits fondamentaux et font désormais vaciller la République islamique.
En Iran, aucun des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme n’existe: pas d’égalité de genre, pas de liberté, la torture et les traitements dégradants et inhumains y sont couramment pratiqués, les arrestations arbitraires sont légion, pas d’accès à une justice équitable et
impartiale, la présomption d’innocence est foulée aux pieds, la liberté de la presse et la liberté d’opinion sont inexistantes. La République islamique est une dictature, dans l’acception la plus intransigeante et sanguinaire du terme, mais elle ne se contente pas d’imposer son dogme à l’intérieur du pays qu’elle occupe. Elle agit de la même manière en matière de politique extérieure. Bien que nous, Occidentaux, ne semblions pas en être conscients, la République islamique est, depuis son avènement, en guerre contre les principes et idéaux du monde occidental. Son vocabulaire et ses actions n’ont jamais cessé d’être belliqueux. Elle finance des organisations terroristes au Moyen-Orient ou vend des drones tueurs à la Russie.
Un point qui date du 14 novembre: La radicalisation du régime iranien
ne freine pas la contestation
La République islamique n’est pas l’Iran
D’aucuns prétendent que les droits fondamentaux ne peuvent être appliqués de la même manière dans des pays occidentaux de tradition chrétienne et au Moyen-Orient. C’est précisément ce que prône activement la République islamique, qui considère que la liberté s’arrête lorsqu’elle se heurte aux préceptes de l’islam chiite, tels que revus par elle. Or, les Iraniens démontrent au monde qu’ils rejettent massivement et radicalement le carcan théocratique et que les droits de l’hommes sont universels et
doivent être respectés et défendus de la même manière par et pour chaque individu, quel que soit le contexte culturel ou traditionnel dans lequel il évolue. Par leur action, les Iraniens nient le postulat selon lequel la République islamique et l’Iran se confondent. La République islamique n’est pas l’Iran. Elle ne répond pas aux intérêts des Iraniens, ni ne représente leurs aspirations. C’est ce que certains parlementaires et ministres européens ont compris, de même que les exécutifs canadien et américain.
La Suisse ne fait en revanche pas preuve de la même clairvoyance.
Pour aller plus loin: L’Iran annonce une première condamnation à mort
liée aux «émeutes»
L’inaction de la Suisse
Alors que le Conseil fédéral s’est aligné sans compromission sur les sanctions internationales contre la Russie pour soutenir le peuple ukrainien, la liste des personnes liées à la République islamique et sanctionnées par la Suisse est demeurée inchangée depuis le 3 août 2022, sous réserve de l’ajout, le 2 novembre, de quatre personnes en relation avec la vente de drones à la Russie. Le communiqué de presse du Conseil fédéral du 2 novembre indique que les départements compétents ont choisi de ne pas reprendre les sanctions de l’Union européenne en lien avec les actuelles manifestations en Iran: «Cette décision tient compte de tous les intérêts suisses en matière de politique intérieure ou extérieure, parmi lesquels les bons offices de la Suisse en Iran.» A l’heure du choix, la Suisse fait passer avant les intérêts nationaux des Iraniens la position diplomatique que la Suisse occupe dans un pays gouverné par un régime illégitime et sanguinaire. Ce faisant, alors qu’elle annonce soutenir le peuple iranien, la Suisse fait le jeu de la République islamique qui ne manque pas de se targuer de ses bonnes relations avec elle, salissant sa réputation de haut lieu des droits de l’homme.
Lire aussi: Au moins 326 manifestants tués en Iran depuis septembre
Ainsi, à ce jour, aucune sanction n’a été prise par la Suisse à l’encontre de ceux qui sont impliqués dans la répression sanglante ayant cours depuis 60 jours. Cette répression compte désormais plus de 300 victimes, dont une quarantaine d’enfants, et près de 15 000 arrestations. Des jugements expéditifs ont déjà eu lieu, au cours desquels les présumés coupables voient leur sort scellé en quelques minutes, sans l’assistance d’un avocat indépendant, encourant jusqu’à la peine de mort par pendaison, ce que plus des deux tiers du parlement de la République islamique ont appelé de leurs vœux. La gravité de la situation n’a pas échappé au Conseil des droits de l’homme de l’ONU qui tiendra une session extraordinaire sur le sujet à Genève le 24 novembre.
De quel côté de l’histoire se place la Suisse?
Mesdames, Messieurs les Conseillers fédéraux, de quel côté de l’histoire souhaitez-vous que notre pays se place? Où se situe la Suisse, lorsqu’il est question de la défense de droits universels bafoués par un gouvernement qui a fait le choix de massacrer sa population au vu et au su de tous? En Suisse, l’action est importante car symbolique. Nous évoluons dans le berceau de la Société des Nations. Nous abritons ce que le monde compte d’organisations internationales et humanitaires. Nous représentons un idéal dans le monde, nonobstant notre taille. Si les particuliers peuvent se mobiliser par des rassemblements et des actions d’amplification de la voix du peuple iranien, à l’image des manifestations qui ont lieu chaque samedi sur la place des Nations à Genève, il appartient au gouvernement suisse de montrer que ceux qui violent nos valeurs universelles n’ont pas leur place au sein de la communauté internationale, quels que soient les enjeux commerciaux et politiques, qu’on ne peut laisser un gouvernement étranger
utiliser comme une menace. Il est dès lors du devoir moral du Conseil fédéral de s’aligner sans attendre sur les sanctions prises par l’Union européenne, le Canada et les Etats-Unis à l’encontre des bouchers de la République islamique.
L’Edit de Cyrus le Grand: première déclaration des droits de l’homme
Lorsqu’il est question des droits de l’homme, chaque individu a la responsabilité personnelle d’œuvrer pour leur défense et leur préservation, mais également de dénoncer leur violation, où qu’elle se produise. Les droits humains ne consistent pas en un concept à géométrie variable. Ils ne sauraient être influencés par une tradition, une religion, une culture ou par un contexte particulier. Ils sont universels et doivent être protégés sans compromission ni négociation. Les principes d’égalité et de respect mutuel de la race humaine n’ont pas varié depuis qu’ils ont été édictés par Cyrus le Grand il y a 25 siècles en Iran. La réelle identité du peuple iranien est gravée sur l’Edit de Cyrus et non dans l’inhumanité de la République islamique. C’est cet idéal que notre gouvernement doit défendre et protéger activement. La Suisse peut jouer un rôle essentiel dans la libération du peuple iranien. Elle a le pouvoir de cesser toute relation diplomatique avec la République islamique et d’isoler un gouvernement qui se montre indigne
de son peuple.
Une version raccourcie de ce texte a été publiée dans la version papier du
«Temps» le 17 novembre 2022.
*Comité de l’association Zan Zendeghi Azadi Suisse («Femme, vie,
liberté»): Mmes Patricia Bally, Tatiana Daneschwar Roux, Leila Delarive,
Mercedes Novier, Isabelle Peillon, et Mitra Sohrabi